Terre de Baffin, cabotage, danger !!!
Vive les "frenchs doctors"
Nous voici bien installés dans la cabane de Billy au bout du monde, coincés au fond de ce fjord, avec le danger constant de Nanuq; le soir, pas si nocturne que çà, tombe doucement.
Sur la grève quelques ossements de phoques nous rappellent la présence de l'ours et la chasse préférée des Inuits; Un petit bateau se dessine, se rapproche, ami, ennemi ?, passera-t-il son chemin ?, s'arrêtera -t-il ? Manifestement il arrive et nos guides semblent très contents de les apercevoir et nous les présentent comme leurs cousins (mais dans ces villages, ils ont tous un lien de parenté).
"Nice to meet you", on les laisse en "famille" discourir en Inuktituk pendant qu'avec le chien et ses croquettes pour l'appâter, on se balade sous l'oeil de notre guide, sans franchir les limites de son regard, polar bear oblige. Après les congratulations de règle, et un bonsoir, nous pouvons nous installer dans la cabane et penser à dormir. Mais à peine couchés, un bruit terrible retentit : éboulement, coup de fusil ? Qu'est ce qui peut troubler la quiétude de cette toute fin de soirée ?
Tout le monde se précipite dehors et Billy notre guide court à grandes enjambées jusqu'au campement de ses cousins. Affolement général, nous ne comprenons pas tout ce que nous dit en Anglais sa femme: un grand drame, un "big trouble"... se rappelant en un instant notre vocation de médecins, et ayant transporté une trousse fournie en médicaments et autres objets de soins urgents, nous nous rhabillons, enfilons à la hâte, chaussures et pantalon et courrons nous aussi vers le théâtre du drame, car c'est bien d'un drame dont il s'agit: un homme ensanglanté, geignant de douleur est à terre, il est gris, autour de lui les deux femmes (la sienne et sa propre mère) poussent des cris et les deux enfants d'une dizaine d'année, dont nous apprendrons plus tard qu'il s'agit d'adoptés, pleurent aussi.
Que s'est-il passé entre les aux revoir joyeux d'il y a à peine une demi-heure, et la situation de cet instant ? L'homme levait tranquilement ses filets de pêche car l'arctic char (ou omble chevalier: poisson Arctique de la famille des salmonidés ou saumons) est abondant sur ces rives; un des enfants a voulu essayer de viser avec un des deux fusils, posés simplement devant une des tentes, armes bien communes dans ces territoires où l'ours polaire est omni-présent. Le fusil est lourd, probablement un modèle assez ancien, bref le coup est parti... l'homme, le corps à moitié dans l'eau, gémit, n'arrive plus à se relever, la plaie n'est pas visible en totalité, nous comprenons cependant que le temps presse et Billy aussi. L'accord est tacite, il faut rappatrier cet homme au plus vite, nous sommes à plus de deux heures par bateau et par temps calme de Qikiqtarjuaq. Nous expliquons à Billy que la blessure est profonde et met la vie de cet homme en danger mortel, il faut diriger ce blessé vers Iqaluit la capitale, c'est à dire, faire décoller puis atterrir en pleine nuit un avion, car pour nous une intervention en urgence est indispensable, la vie de cet homme en dépend. Nous donnons rapidement les premiers soins, et les antalgiques nécessaires... et à notre grand étonnement,il n'y a pas que Billy et le blessé qui montent dans le bateau (celui ci est en fait hissé par nous mêmes car totalement incapable de bouger), mais l'ensemble de cette famille qui réembarque: mère, femme et les deux enfants!! A peine le bateau se trouve-t-il à quelque distance de la rive qu'un nouveau grand moment de solitude nous étreint: le quatrième au moins depuis le début de notre voyage !!! Daisy la femme de Billy nous avait prévenu la veille, elle a une peur bleue, viscérale des "polar bear", elle ne sait pas tirer avec un fusil... et nous, nous en sommes au même point qu'elle, mais en plus, on ne sait pas se servir de la CB, pas faire démarrer le moteur du bateau, pas parlerInuktitut et de plus n'avons aucune idée de quand, oui quand, Billy reviendra !! (nous l'avons déjà attendu deux jours au début de notre séjour à Qik!) Dans ces conditions, retour immédiat à la cabane, coucher très difficile, nous sommes éreintés, angoissés, bercés par le gésillement de la CB qui annonce dans tout le Nunavut la gravité de cet accident, nous somnolons, presque agacés par cette CB qui siffle en Inuktitut de longs monologues incompréhensibles. Puis d'un coup d'un seul, même cette maudite CB s'arrête... cinquième, ...nième moment de grande solitude!!, de vulnérabilité extrême, n'est-ce pas là, ici même, que quatre ours polaires ont tenté de pénêtrer dans la cabane il y a quelques mois, obligeant Billy à changer le systême de fermeture de la porte, les ours ayant compris qu'en s'appuyant de tout leur poids sur la poignée, ils se rapprochaient alors de leurs proies.
Le stress, la poussée d'adrénaline, ah oui on le sait, entraine une hyperdiurèse, évitons ce langage médical un peu pédant, en fait on a envie d'uriner et c'est de "l'eau"... et on va donc être forcés de sortir.. au risque de rencontrer notre ami l'ours? On peut en fait s'adonner à ces joies du haut du petit palier... c'est plus facile pour rentrer ilico presto dans la cabane.En pleine nuit, tout à coup le chien se met à aboyer de façon frénétique, signal infaillible de la présence de l'ours blanc dans les parages, notre coeur bât à tout rompre, on l'entend cogner, on a tous nos sens en alerte, puis plus rien...
La nuit a été longue, peuplée de cauchemars, et heureusement le début de la matinée, bien ensoleillée a chassé les fantômes: Billy est revenu en début d'après midi, les nouvelles étaient assez rassurantes, le blessé avait été envoyé à Iqaluit, en bonne voie pour une intervention salvatrice... nous pouvions retourner à Quik après avoir aidé à démonter le camp des voisins cousins!!! Nous apprendrons quelques jours plus tard qu'il s'agissait d'une plaie du rein gauche, le trajet de la balle ayant atteint le siège de l'aine sans avoir pénêtré dans l'artère fémorale.
On peut faire french doctors même au fin fond de nulle part !